L’oubli. Parfois, on le provoque en s’éloignant, mais bien trop souvent, c’est lui qui nous rattrape, aidé de sa « farceuse ». C’est alors qu’il s’approprie sans crier gare notre mémoire.
C’est justement le cas de Gérard Volène. La maladie d’Alzheimer consume un peu plus chaque jour ses souvenirs. À soixante-treize ans, la dégénérescence de son cerveau évolue à grands pas. Face à l’aggravation de ses symptômes, l’orfèvre de l’horlogerie, décide d’entreprendre une course contre la montre avant que sonne la fin ; celle d’écrire à sa fille avec qui tout contact est rompu depuis vingt-cinq ans. Il lui faut la revoir avant que « la vilaine » ait définitivement effacé tout son disque dur. Au-delà du pardon, il lui faut lui expliquer ce qui s’est passé tant qu’il garde de la lucidité en lui. Sa fille doit connaître enfin la vérité. Mais en aura-t-il le temps avant d’être confronté à l’impasse ? Et le lui laissera-t-elle ? Répondra-t-elle à ses courriers ?
Car depuis toute ces années, Anna a fait de l’oubli un allié de poids. Sa boite de Pandore renferme toutes ses interrogations, ses déceptions, ses frustrations, ses doutes, ses souffrances de petite fille abandonnée trop jeune par son père. L’insistance soudaine de cet homme indigne qui ne l’a pas protégée, plus étranger à ses yeux que géniteur, la met dans un état de panique extrême. Cette amnésie volontaire dans laquelle elle s’est enfermée, laisse, au fil des lettres reçues, ses traumas du passé refaire surface. Son viol par un médecin, une grand-mère abusive, des mensonges et des secrets à répétition et tant de questions restées sans réponse. Malgré la peur qui l’envahie, comprendre tous ces silences et ces non-dits suspendus la tenaille. Elle accepte de rencontrer celui qu’il l’a trahi.
Contre toute attente, Alzeihmer va devenir leur fil d’Ariane pour se retrouver. C’est là tout l’art de Nathalie Gendreau. Par ses mots, elle transcende cette maladie, protagoniste de son histoire. Au fil des pages, elle n’en fait plus cet espace que personne ne comprend, qui emprisonne l’âme, mais ce lien reconstitué qui va permettre à un père et à sa fille de reformer les pièces du puzzel de leur vie. Alzeihmer est la clé de leur énigme familiale qui percera à jour, non sans violence, les drames vécus et pansera telle une thérapie, les séquelles subies. Anna, c’est La Peau d’Âne des temps modernes. Tout comme elle, la complicité très fusionnelle d’Anna avec son père, sans frontière aucune, ne peut empêcher le doute d’exister. Pour lui, le veuf resté dévoué à sa défunte, Anna est sa petite Princesse, sa « petite femme ». Pour elle, il était son « père charmant » avec qui elle voulait se marier pour ne se consacrer rien qu’à lui. Les crises d’absence vont permettre de soulever toutes incertitudes incestueuses entre eux. Progressivement, la vérité se dessine. Le mystère est percé. La vérité a repris ses droits. Anna renaît au monde pour la seconde fois, libérée enfin d’un lourd passé anxiogène. Anna fait enfin peau neuve…
La Peau d’Anna par Nathalie Gendreau aux éditions Dacres, 14 euros.
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