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29 mars 2024

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Le français, cette langue hissée au rang de grande cause nationale

Sagadom - Benjamin CALMELS / Impac European

Le français, cette langue hissée au rang de grande cause nationale

Philippe Bilger est magistrat honoraire, président de l’Institut de la Parole, qu’il a fondé fin 2011. Il intervient également quotidiennement à Sud Radio en tant que chroniqueur. Nous le recevons aujourd’hui dans le cadre d’un entretien autour de la langue française.

Pouvez-vous nous parler de votre institut ? En qualité de fin observateur de notre société, avez-vous constaté un renouveau de la parole publique depuis sa création ?

Je n’aurai pas la présomption de penser que la création de l’Institut de la Parole ait pu influer favorablement sur la parole publique dans son ensemble. Dans l’entreprise que j’ai créée, j’essaie d’aider tous les gens qui me font l’honneur de venir me voir, anonymes comme célèbres. La spécificité de la formation que je propose réside dans le fait qu’elle n’est pas seulement destinée à favoriser la parole en milieu professionnel mais également à améliorer la qualité de celle-ci dans toutes les sphères où on en a besoin (intime, familiale, associative).

L’Institut de la Parole propose une formation unique. Quand d’autres exigent qu’il ne faille pas mettre ce qu’on est dans ce qu’on vit, j’affirme le contraire. Pas besoin d’écrit ou d’apprentissage par cœur qui génère une conception étriquée de la parole. En en faisant fi, on ne s’encombre que de soi-même. On avance sa propre pensée en inventant son propre verbe. Le capital humain qui nous est commun doit être, selon moi, le seul outil dont on dispose. Je crois au lien indispensable et irremplaçable entre la vigueur de la pensée et la qualité du langage.

Globalement, on ne peut pas dire, autant que je puisse en juger, que la qualité de la parole s’est améliorée. Il me semble au contraire qu’en un certain nombre de circonstances, celle-ci s’est dégradée à la fois dans la forme et parfois même dans le fond avec un recours à une grossièreté insupportable. La pauvreté du langage ne permet pas un fond élaboré et complexe de la pensée.

Que pensez-vous de l’enseignement du français en France et dans les pays où il est enseigné ?

D’une part, j’attache une énorme importance à la langue française aussi bien dans son écriture que dans son expression orale. La Francophonie n’est pas assez défendue, ce qui est pourtant capital. Ce n’est pas qu’une question de langue, c’est également un facteur de civilisation ! La France est une histoire, une culture, quelque chose de stimulant et de vivifiant.

Je n’ai pas de données très précises concernant l’enseignement du français en France. J’espère que la passion de la littérature, le goût de l’expression, l’appétence pour une belle écriture ne l’ont pas quitté. Nous nous devons d’avoir une classe professorale de très haut niveau qui elle-même est irréprochable dans le maniement de la langue et dans l’enseignement de la littérature.

Le recours au « par-cœur » n’est pas un vice. On se souvient d’époques où on apprenait par cœur les fables de la Fontaine et où on cultivait sa mémoire. Je dirais qu’apprendre par cœur des très beaux textes ne peut que favoriser une propre expression de qualité.

Dans l’exercice de votre métier, votre spontanéité vous a-t-elle été utile ?

En ayant passé plus de 20 ans à la Cour d’assises de Paris, j’ai cultivé cette passion de la parole. J’ai écouté durant ma vie judiciaire des discours et des propos très remarquables de la part notamment

d’avocats qui avaient pour but d’argumenter, de convaincre et d’emporter l’adhésion. Il est évident que cela m’a rendu encore plus sensible à la qualité du verbe.

J’ai pu constater un regain d’intérêt pour l’éloquence. De nombreux concours sont organisés à travers toute la France dont celui de la célèbre Conférence du Barreau de Paris. Vous en réjouissez-vous ?

J’en ai présidé, à vrai dire, un certain nombre et je dois dire que mon institut est aux antipodes de cette manière d’enfermer l’exercice de la parole. Je rêve au contraire de son heureuse banalisation. Le surgissement de soi est préférable à des exercices qui me paraissent plus sophistiqués, élitistes et artificiels que convaincants.

J’ai créé il y a quelques années un concours très original que je n’ai malheureusement pas pu renouveler. Mes invités avaient une demi-heure pour préparer un sujet identique, uniquement dans leur tête. Ils faisaient ensuite 10 minutes de discours en n’ayant d’autre support qu’eux-mêmes.

Croyez-vous au délitement actuel de la langue française à l’heure des réseaux sociaux et du tout instantané ?

Evidemment. Sur Twitter, par exemple, au prétexte que nous avons droit à 260 signes, certains en profitent pour dégrader la langue française. Bien sûr que les réseaux sociaux et autres emails sont des moyens de communication formidables, qui permettent une relation très forte avec autrui sur le plan des idées, des croyances et de la conviction. Ils ne sont pas voués par principe à dégrader la langue qu’ils utilisent. S’ils le font, c’est que l’on s’abandonne à cultiver le pire avec une forme de complaisance.

Aujourd’hui, au Royaume-Uni, des mouvements militent pour un usage très pur de l’anglais britannique notamment face à ce qui est perçue comme une concurrence de l’anglais étatsunien. Tout cela ne viendrait-il pas d’une peur infondée ?

Je peux tout à fait comprendre qu’un pays veuille défendre l’identité et la pureté de sa langue. Cela ne veut pas dire qu’il s’agisse d’établir une sorte de mur de Berlin symbolique entre des apports extérieurs qui peuvent être stimulants et enrichissants et celle-ci. Lorsqu’on dispose d’un vocabulaire infini, il est difficile d’accepter de le voir dégradé par des apports étrangers non nécessaires.

Pour en revenir à notre pays, je trouve certains choix assez discutables. De nombreux professionnels de haut niveau acceptent de parler anglais dans des conférences ou des colloques par une sorte de snobisme un peu ridicule. C’est comme si on mettait la main à sa propre défaite.

Le dernier rapport de l’Observatoire de la langue française est paru en 2019. Tous les voyants sont au vert : 300 millions de locuteurs, le français est la 5ème langue la plus parlée au monde, 2ème langue la plus apprise. On est tenté de se dire que tout va bien.

J’évoquais tout à l’heure le fait qu’il ne me semblait pas que la Francophonie, cette belle cause, était suffisamment poussée ou défendue. Même avec ces excellents constats, je crois que l’on peut toujours faire mieux en dépassant ces chiffres.

La langue française devrait-elle être, selon vous, plus inclusive envers les femmes ?

Je ne suis pas partisan de cette nouvelle forme d’écriture. Même si elle est contestée, je m’en tiens aux observations et aux conclusions de l’Académie française.

Vous étiez il y a quelques semaines l’un des ambassadeurs du salon de la Gastronomie des Outre-Mer et de la francophonie, fondé par Babeth de Rosières. Le salut de notre langue pourrait-il venir de notre gastronomie ?

Tout ce qui peut concourir à faire lien entre les Français est une aubaine démocratique et il faut l’encourager.

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