GABRIEL MIHAI
L’opposant russe Alexeï Navalny et des centaines de ses partisans ont été interpellés ce 26 mars dans toute la Russie lors de manifestations anticorruption constituant l’une des plus fortes mobilisations visant Vladimir Poutine.
Alexeï Navalny, devenu l’un des chefs de file de l’opposition au président Vladimir Poutine, est un avocat et un blogueur influent qui s’est fait connaître en dénonçant sur internet des affaires de corruption impliquant de hauts responsables russes.
La justice russe a ordonné, le 24 février, l’assignation à résidence de l’opposant numéro un du Kremlin, Alexeï Navalny, dans le cadre d’une enquête pour escroquerie au détriment de la marque française de cosmétiques Yves Rocher.
Dans l’affaire Yves Rocher, il est soupçonné avec son frère Oleg d’avoir détourné 26 millions de roubles (590.000 euros) appartenant à la filiale russe de la compagnie française et plus de quatre millions de roubles (90.000 euros) appartenant à une autre entreprise. Les deux frères ont également été inculpés de blanchiment de 21 millions de roubles (480.000 euros) et risquent jusqu’à 10 ans de camp.
Ils savaient à quoi s’attendre mais sont quand même descendus dans la rue. Des centaines de manifestants russes, à l’instar de l’opposant au régime Alexeï Navalny, ont été interpellés ce 26 mars dans toute la Russie lors de manifestations anticorruption. Ces rassemblements, les plus forts organisés contre Vladimir Poutine depuis son retour au Kremlin en 2012, étaient interdits par les autorités. À Moscou, sur l’une des principales artères du centre-ville, « au moins 700 personnes ont été interpellées », selon l’organisation OVD-Info, spécialisée dans le monitoring des manifestations. De son côté, la police a fait état d’environ 500 arrestations.
Emmené lui-même par la police dès sa sortie du métro, la figure d’opposition Alexeï Navalny, qui compte défier Vladimir Poutine lors de la présidentielle de début 2018, va passer la nuit en détention avant d’être présenté à un juge lundi 27 mars, comme l’a indiqué sur Twitter sa porte-parole Kira Iarmych. L’opposant avait appelé à ces rassemblements après avoir publié un rapport accusant le Premier ministre Dmitri Medvedev de se trouver à la tête d’un empire immobilier financé par les oligarques.
Sur la place Pouchkine, où plusieurs milliers de personnes étaient massées, de nombreuses interpellations ont eu lieu, la police faisant usage de gaz au poivre et parfois de ses matraques. « La Russie sans Poutine ! », scandaient les manifestants. Depuis son lieu de détention, Alexeï Navalny s’est dit « fier » de ses partisans et jugé les interpellations « compréhensibles »: « Les voleurs se défendent de cette manière. Mais on ne peut pas arrêter tous ceux qui sont contre la corruption. Nous sommes des millions », a écrit l’opposant qui sillonne ces dernières semaines la province pour faire campagne malgré nombre d’incidents.
Certains brandissaient des chaussures de sport – le film évoquant les baskets colorées de Dmitri Medvedev – ou des canards en plastique, en référence à la maison miniature dont disposerait, selon Alexeï Navalny, le chef du gouvernement pour ses canards dans l’une de ses résidences. À Moscou, les manifestants ont arpenté tout l’après-midi les trottoirs de la rue Tverskaïa, l’une des principales avenues de la capitale, dans tous les sens, compliquant tout comptage.
La police a évoqué plus de 7.000 personnes, une mobilisation rarissime pour une manifestation non autorisée. « Tout le pays est fatigué de la corruption, a soupiré une manifestante de 50 ans. Medvedev aurait dû être limogé vu ce qui a été révélé ». « Ils volent et ils mentent mais les gens restent patients. Cette manifestation est une première impulsion pour que les gens commencent à agir », a expliqué Nikolaï Moïsseï, ouvrier de 26 ans.
Cette enquête sous forme de film, vu 11 millions de fois sur YouTube, n’a suscité aucune réaction des autorités, comme les autres publiées par l’organisation d’Alexeï Navalny, qui s’est imposé comme l’opposant numéro un au Kremlin en dénonçant la corruption des élites. Malgré des interdictions dans 72 des 99 villes où étaient prévues des actions, les Russes sont sortis dans la rue par milliers, y compris dans des villes de province où les expressions de mécontentement sont plus rares, comme Krasnoïarsk, Omsk, ou Novossibirsk en Sibérie.
Pendant la manifestation, son organisation, le Fonds de lutte contre la corruption (FBK), a annoncé par ailleurs être visée par des perquisitions. « Tout le monde a été interpellé et emmené à la police », a rapporté Kira Iarmych sur Twitter. Les télévisions nationales ont gardé le silence concernant la mobilisation à Moscou comme dans le reste du pays. À Saint-Pétersbourg, deuxième ville de Russie (nord-ouest), environ 4.000 personnes se sont réunies malgré l’interdiction des autorités et une présence policière massive.
Alexeï Navalny, 37 ans, fait l’objet de plusieurs enquêtes et a récemment été condamné à cinq ans de prison avec sursis. Il rejette toutes les accusations, qui visent selon lui à l’écarter de la scène politique.
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