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24 novembre 2024

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La patronne du Fonds monétaire international pourrait échapper à la justice

GABRIEL MIHAI

Rarement réquisitoire aura tant ressemblé à une plaidoirie: le parquet a requis jeudi la relaxe de la patronne du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde, estimant que son «choix politique malheureux» dans l’arbitrage Tapie n’était pas une «négligence pénale».

Il faut attendre une heure et demie pour que le procureur général Jean-Claude Marin prononce la formule consacrée et demande à la Cour de justice de la République (CJR) de «renvoyer» l’ancienne ministre de l’Economie «des fins de la poursuite». En clair, de l’innocenter.

Mais dès le début de son réquisitoire, le magistrat de la Cour de cassation dit que «les charges propres à fonder une condamnation pénale ne sont pas réunies». «Les audiences n’ont pas conforté une accusation bien faible, voire incantatoire», attaque le représentant du ministère public.

Le parquet était hostile au principe même d’un procès devant la CJR, mais les magistrats instructeurs étaient passés outre.

«C’est à la frêle limite entre le politique et le judiciaire que vous aurez à vous déterminer», lance-t-il aux trois magistrats professionnels et aux douze parlementaires qui composent cette juridiction d’exception. La CJR juge les crimes et les délits reprochés aux membres d’un gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. «Prendre une mauvaise décision n’est pas (…) en soi seul un délit», dit encore M. Marin.

Assise, l’ex-ministre de Nicolas Sarkozy ne laisse paraître aucune expression. Dans la plupart des procès la perspective du réquisitoire fait trembler les prévenus, pour elle c’est la meilleure journée depuis le début des audiences, lundi.

«Vous devrez éviter l’écueil de l’anachronisme judiciaire», c’est-à-dire juger le passé à la lumière du présent, déclare encore le procureur général aux juges.

En 2007, Christine Lagarde décide d’aller à l’arbitrage plutôt que de poursuivre devant des tribunaux une interminable guérilla entre Bernard Tapie et l’ancienne banque publique Crédit Lyonnais. En 2008, elle renonce ensuite à attaquer la sentence arbitrale qui attribue plus de 400 millions d’euros à l’homme d’affaires, dont 45 millions pour réparer son «préjudice moral», du jamais vu.

L’affaire suscite immédiatement l’émoi. Mais il faut attendre des années pour que le caractère frauduleux de l’arbitrage soit établi.

La procédure est annulée pour fraude en 2015 au civil. Et au pénal, la justice n’a pas tout à fait fini d’enquêter sur six hommes, dont Bernard Tapie et l’ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, Stéphane Richard, aujourd’hui PDG d’Orange, mis en examen pour «escroquerie» et «détournement de fonds publics».

A l’inverse du parquet, les magistrats instructeurs de la Cour avaient estimé que Christine Lagarde devait répondre devant des juges de sa «précipitation» et de son «incurie». Les enquêteurs lui reprochent de s’être trop reposée sur ses collaborateurs et d’avoir ignoré les alertes de certains services de Bercy.

«Il est difficile au juge de dire quel avis un ministre doit prendre et quel avis il doit suivre», répond l’avocat général Philippe Lagauche, l’autre représentant du ministère public. «Le ministre n’est pas là pour instruire lui-même les dossiers mais pour prendre une décision», «chacun son travail».

M. Marin accompagne ce réquisitoire qui n’en est pas un de quelques avertissements à cette juridiction hybride qu’est la CJR. Il prévient d’abord qu’elle risque de connaître un «accroissement sensible» des requêtes si elle consacre le délit de «négligence» d’une ancienne ministre.

Le procureur général rappelle aussi que la CJR est «souvent décriée» car assimilée à une «juridiction politique». Et qu’elle a été alertée par des députés socialistes, non par des victimes de la société civile, sur le cas de la ministre de droite.

Raison de plus, selon lui, pour s’en tenir dans le jugement à une appréciation pénale, loin de toute approche politicienne.

Le délit de «négligence» ayant permis un détournement de fonds par une personne «dépositaire de l’autorité publique» est passible d’une peine allant jusqu’à un an de prison et 15’000 euros d’amende.

La défense plaide vendredi. La décision de la CJR devrait s’écrouler lundi.

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