Le Théâtre de l’Opprimé, plus qu’un lieu ouvert dédié à la création contemporaine, un élément important de transformation de société
Son approche des questions sociétales en fait un lieu de culture unique. Le théâtre de l’Opprimé est un espace de discussion interactif militant. Libérer la parole, telle est sa vocation. Il provoque les gens à parler, échanger et s’interroger, pour mieux découvrir l’autre et lui faire prendre conscience qu’il y a peut-être plusieurs réponses à une question posée. Ici, point l’envie de faire la révolution. In fine, par les notions abordées que sont les relations familiales, l’autorité, l’oppression, le soin de soi, c’est l’ouverture d’esprit qui est recherchée. Par quelle manière ? C’est ce que nous explique Rui Frati, comédien, metteur en scène et co-fondateur depuis vingt-cinq d’un théâtre dont la méthode semble vraiment avoir fait ses preuves.
Journal Impact European : Pourquoi ce nom d’Opprimé ?
Rui Frati : Parce qu’en Argentine, les opprimés étaient ceux qui se battaient contre l’oppression d’une dictature militaire.
JIE : Depuis quand existe-t-il ?
RF : Il a été créé par Augusto Boal, il y a une cinquantaine d’années en Amérique latine.
JIE : Qui est cet homme ?
RF : Un grand metteur en scène brésilien, exilé en Argentine. Il a revu tous ses principes de travail d’acteur et de mise en scène pour créer une méthode qui puisse être adaptée à des gens qui n’avaient jamais fait du théâtre et qui puisse être jouée dans des lieux non théâtraux.
JIE : Quelle est la vocation de cette méthode ?
RF : Celle d’exploiter la volonté de transformer le monde par la possibilité de dire en scène des choses importantes que les gens pensent et qui sont difficiles à évoquer dans la vie. Les idées sont canalisées dans une logique de fonctionnement de spectacle pour que les gens puissent comprendre ce qui est dit et intervenir.
JIE : Transformer le monde ? De quelle manière ?
RF : En développant la conscience des gens.
JIE : Comme un entrainement à l’expression orale ?
RF : Plus que cela. Un exercice de concentration où l’on ose faire des choses, participer à changer celles qui sont mauvaises pour la société ou l’être humain.
JIE : C’est ce que vous appelez le « théâtre forum ». De quoi s’agit-il exactement ?
RF : C’est un théâtre ouvert. Dans sa première partie, il s’apparente aux autres spectacles. Il y a un public, des scènes qui ont été préparées par des comédiens et des metteurs en scène. La différence est dans sa seconde partie. Elle est une provocation du public qui vient prendre la parole pour trouver des alternatives aux fatalités que l’on montre en scène. Il y exprime son propre désir de transformation et de changement.
JIE : Par cette technique, le théâtre sort de sa fonction première de divertir ?
RF : La notion de divertissement est très éloignée de la création. Il y a 3000 ans, les Grecs ont créé le théâtre pour contester le pouvoir et les injustices. Ils remettaient en question la société et le comportement humain, parfois avec beaucoup de comicité. Le divertissement n’est venu qu’après.
La technique du « théâtre forum » est donc un moyen d’expression de langage, de discours et de communication.
JIE : Il n’est donc pas faux de dire que l’approche de cette scène ouverte citoyenne et militante est politique ?
RF : Absolument, mais ce qui ne veut pas dire partisan. Ne pas prendre les couleurs d’un parti politique est un pari assez difficile et très intéressant en même temps.
JIE : Intéressante à quel point de vue ?
RF : Car ça laisse une grande ouverture pour communiquer avec des gens qui militent sous des formes différentes, sans être sectarisé en faveur d’un service politique ou d’un système de pouvoir.
JIE : Le TO milite, mais pour le théâtre en tant qu’art…
RF : Tout à fait ce qui est nécessaire à tout être humain, à la société et à l’humanité. Il faut que le théâtre continue à exister avec sa mission qui est de dénoncer de transformer, de chercher un certain bonheur.
JIE : C’est là toute l’identité du TO ?
RF : C’est un lieu qui est reconnu et qui est dédié aux gens qui ont le courage de faire et de vouloir faire vivre le théâtre.
JIE : Justement, quelle programmation y trouve-t-on ?
RF : Nous avons été reconnus par la Drac Ile de France et la Mairie de Paris comme un lieu ouvert à la création contemporaine, tant du point de vue du texte que des interprètes. Nous n’avons aucun compromis définitif à ne produire qu’un certain type de textes ou de genres de spectacles.
JIE : Le TO n’est donc ni sectaire ni fermé…
RF : La priorité est donnée à la jeune création et aux textes contemporains, sans que cela soit aussi une obligation. Nous gardons notre indépendance et tenons à ce qu’elle soit reconnue. Les troupes qui se produisent sont très jeunes ou sortent du Conservatoire. Nous les accompagnons et soutenons tous ceux qui croient à l’art théâtral comme un élément important de transformation de société.
JIE : D’où les cartes blanches qui y sont proposées ?
RF : Par exemple. Notre action s’étend également à l’organisation d’un festival en début de saison qui reçoit quatre troupes sortant de grandes écoles (une par semaine). Ensuite, nous programmons des gens qui sont dans la machine théâtrale depuis un moment ou qui sont déjà passés par le TO ou que l’on nous a conseillés de découvrir. Nous clôturons la saison par le festival « méga action » avec des gens qui ont déjà un certain niveau et que nous pourrons programmer par la suite.
JIE : Au TO, le spectateur devient acteur. D’où le « spect-acteur » Quel en est donc son rôle?
RF : Celui de pouvoir à tout moment être le protagoniste de sa propre vie et l’acteur de la transformation de la société.
JIE : En résumé, le théâtre de l’Opprimé, c’est mieux qu’une séance de psy ?
RF : Ne dites pas ça ! Ne nous mettez pas en concurrence ! Certes, le théâtre a une fonction thérapeutique. La thérapie est faite par des gens qui ont passé des années à travailler pour l’exercer. Nous ne pouvons pas les singer et voler leur place ! En revanche, associons nos efforts, c’est plus intéressant.
JIE : Par le fait que votre approche soit complémentaire ?
RF : Oui et que son action soit plus large, ce qui nous permet de toucher plusieurs personnes en même temps.
JIE : Quel est avenir du théâtre de l’Opprimé ?
RF : Je ne serais le dire. Depuis ses vingt dernières années, nous l’avons déjà beaucoup transformé par la création de formules nouvelles de travail. Mais, la qualité des gens qui collaborent avec moi fait qu’ils ont toutes les capacités de continuer à réfléchir sur comment transformer les choses, à trouver d’autres moyens de communication pour sortir les gens de la solitude, de la souffrance, de l’agressivité…
JIE : Que peut-on lui souhaiter ?
RF : Longue vie à tous ! À moi surtout (rires)
Visuels : (C) Théâtre de l’Opprimé
Théâtre de l’Opprimé – 78 rue du Charolais – 75012 Paris – Programmation : http://www.theatredelopprime.com/
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