GABRIEL MIHAI
Selon le secrétaire général de l’organisation Christophe Deloire, six pays sur dix ont enregistré une aggravation de leur situation.
C’est une situation « difficile » ou « très grave » pour la liberté de la presse dans 72 pays (sur 180 recensés) que décrit mercredi 26 avril Reporters sans frontières dans son rapport 2017.
« Jamais la liberté de la presse n’a été aussi menacée », s’alarme l’organisation en donnant pour exemple la prolifération des attaques antimédias, des fausses informations, la répression et le triomphe «d’hommes forts » comme Donald Trump ou Recep Tayyip Erdogan.
La liberté de la presse connaît une situation « difficile » ou « très grave » dans 72 pays, dont la Chine, la Russie, l’Inde, presque tous les pays du Moyen-Orient, d’Asie centrale et d’Amérique centrale, ainsi que les deux tiers des pays d’Afrique, selon ce rapport.
Le Burundi (160e, -4), l’Egypte (161e, -2) et le Bahreïn (164e, -2) font ainsi leur entrée dans les bas-fonds du classement, comptant désormais parmi les 21 pays classés « noirs », c’est-à-dire où la situation de la presse est considérée comme « très grave ». A l’extrémité du classement, la Corée du Nord, le Turkménistan et l’Erythrée monopolisent les toutes dernières places depuis 12 ans.
La presse n’est libre que dans une cinquantaine de pays – en Amérique du Nord, Europe, Australie et au sud de l’Afrique – selon ce rapport. RSF s’inquiète d’un « risque de grand basculement » de la situation de la liberté de la presse, « notamment dans les pays démocratiques importants ».
« L’obsession de la surveillance et le non-respect du secret des sources contribuent à faire glisser vers le bas de nombreux pays considérés hier comme vertueux : les Etats-Unis (43e, – 2 places), le Royaume-Uni (40e, – 2), le Chili (33e, – 2) ou encore la Nouvelle-Zélande (13e, – 8) », selon l’ONG.
C’est le cas notamment du Mexique (147e), mais aussi de la Turquie, qui se retrouve reléguée à la 155e position après avoir perdu encore quatre places en 2016 (en douze ans, le pays a perdu un total de 57 places) et se distingue désormais comme la plus grande prison au monde pour les professionnels des médias.
Rétrogradent aussi la Pologne (54e), qui « étrangle financièrement » la presse indépendante d’opposition, la Hongrie (71e) de Viktor Orban et la Tanzanie (83e) de John Magufuli. En Turquie (155e, – 4 places), le président Recep Tayyip Erdogan a « résolument basculé du côté des régimes autoritaires » pour devenir « la plus grande prison au monde pour les professionnels des médias », accuse RSF. La Russie de Vladimir Poutine (148e) reste elle aussi ancrée dans le bas du classement.
En tête du classement, même les habituels bons élèves nordiques sont pris en défaut : la Finlande (3e, -2), qui occupait la première position depuis six ans cède sa place, pour cause de pressions politiques et de conflits d’intérêts, au profit de la Norvège (1er, +2), qui ne fait pas partie de l’Union européenne. En deuxième position, la Suède gagne six rangs, suivie de la Finlande (3, -2).
En Asie, les Philippines (127e) gagnent 11 places grâce à une baisse du nombre de journalistes tués en 2016, mais, estime RSF, les insultes et menaces contre la presse proférées par le président Rodrigo Duterte laissent présager du pire.
« Le basculement des démocraties donne le vertige », a commenté Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Six pays sur dix ont enregistré une aggravation de leur situation.
Comme l’an dernier, aux premières places figurent les pays scandinaves (Norvège, Suède, Finlande, Danemark) et aux dernières l’Erythrée et la Corée du Nord, où « écouter une radio basée à l’étranger peut conduire directement en camp de concentration ».
Parmi les 25 pays où la presse est la plus attaquée, selon RSF, figurent l’Egypte et Bahreïn, des « prisons à journalistes », le Turkménistan (178e), « l’une des dictatures les plus fermées au monde » et la Syrie (177e), pays le plus meurtrier pour les journalistes. Ils sont aussi menacés en Ouzbékistan, en Azerbaïdjan, au Vietnam, au Laos, à Cuba, au Soudan et en Guinée équatoriale.
RSF dénonce aussi le cas de plusieurs pays du Moyen-Orient, comme l’Iran (165e) qui emprisonne ses journalistes « par dizaines » ou les condamne au fouet, peine pratiquée aussi en Arabie saoudite (168e), notamment envers le blogueur Raïf Badawi, aussi condamné à dix ans de prison.
La Belgique, quant à elle, arrive en neuvième position 9e (+4), devant le Grand-duché de Luxembourg et l’Allemagne qui se classent respectivement en 15e et 16e positions, en statu quo par rapport à l’année dernière, ainsi que la France 39e, (+6).
La France, pour sa part, remonte de la 45e place (en 2016) à la 39e place, un effet mécanique après une année 2015 marquée par la tuerie de Charlie Hebdo. RSF y relève néanmoins un « climat violent et délétère », avec des attaques verbales contre « les médias menteurs » pendant la campagne présidentielle « où il devient normal d’insulter les journalistes, de les faire siffler et huer lors de meetings ».
Si l’on ne tient pas compte de cette parenthèse, la France, où les journalistes doivent se mobiliser pour défendre leur indépendance dans un climat de plus en plus violent et délétère, enregistre cette année son plus mauvais score (22,24) depuis 2013, en raison notamment d’affaires liées à des financiers utilisant à des fins d’influence les médias qu’ils possèdent.
Publié chaque année depuis 2002 à l’initiative de RSF, le Classement mondial de la liberté de la presse permet d’établir la situation relative de 180 pays au regard notamment de leurs performances en matière de pluralisme, d’indépendance des médias, de respect de la sécurité et de la liberté des journalistes. Le Classement 2017 est établi en tenant compte des violations commises entre le 1er janvier et le 31 décembre de l’année 2016. Les indices globaux et régionaux sont calculés à partir des scores obtenus par les différents pays. Ces scores sont eux-mêmes établis à partir d’un questionnaire proposé en vingt langues à des experts du monde entier, doublé d’une analyse qualitative. A noter que plus l’indice est élevé, pire est la situation. La notoriété croissante du Classement mondial de la liberté de la presse en fait un outil de plaidoyer essentiel et de plus en plus influent, selon RSF.
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