Affaibli depuis trois ans par un double cancer de l’œsophage et de l’estomac, Bernard Tapie est mort ce dimanche matin à l’âge de 78 ans, annonce sa famille.
« Dominique Tapie et ses enfants ont l’infinie douleur de faire part du décès de son mari et de leur père, Bernard Tapie, ce dimanche 3 octobre à 8h40, des suites d’un cancer. Il est parti paisiblement, entouré de sa femme, ses enfants, ses petits-enfants, et son frère, présents à son chevet. Il a fait part de son souhait d’être inhumé à Marseille, sa ville de cœur », écrit sa famille dans un communiqué.
Bernard Tapie est mort dimanche matin à l’âge de 78 ans des suites d’un cancer de l’estomac, et avec le départ de ce fort-en-gueule, au sens propre comme au figuré, c’est un peu une page de l’histoire française récente qui se tourne. Car pendant plus de quatre décennies, « Nanard » a été présent partout. Sur les ondes, sur les écrans, dans les stades et sur la route… Sur les planches aussi, devant les micros, dans les salles de marchés et dans les prétoires. Sans oublier un passage remarqué sous les ors de la République.
Entrepreneur à succès, ministre de François Mitterrand, patron de presse et d’un club de football, mais aussi comédien, Bernard Tapie a vécu plusieurs vies. Né le 26 janvier 1943 à Paris dans une famille modeste, il se spécialise d’abord dans la reprise d’entreprises en difficulté jusqu’à racheter, en 1990, le géant allemand Adidas. La revente de l’équipementier sportif, en 1993, déclenche le conflit avec son banquier historique, le Crédit Lyonnais.
Le sens des affaires, indéniable de Bernard Tapie, a été à l’origine de sa réussite, comme il a parfois été tout proche de causer sa perte. C’est en tout cas par ce biais que l’homme a acquis une notoriété certaine d’abord, la célébrité ensuite. D’abord vendeur de téléviseurs, il se spécialise dans la création d’entreprises, puis dans la reprise de sociétés en difficulté, voire en faillite. C’est dans cette dernière activité qu’il bâtit sa réputation, mais aussi une immense fortune. Sa méthode : racheter des entreprises pour un franc symbolique, les remettre sur les rails, parfois à grands frais de suppression d’emplois ou de délocalisations, et les revendre au prix fort.
Mais son plus gros coup, « l’affaire de sa vie », jure-t-il alors, reste la reprise en 1990 d’Adidas, géant du sport en perdition face à ses concurrents américains, Nike et Reebok. En trois ans, avec changement de logo et délocalisations à la clé, il relance la marque, qu’il revend en 1993 à un groupe d’investisseurs, dont le Crédit Lyonnais. S’ensuit une complexe affaire de plus-value, marquée par des décisions de justice successivement favorables et défavorables, puis par un arbitrage suspect. Cette affaire aura poursuivi Bernard Tapie jusqu’à sa disparition.
Les affaires, Bernard Tapie a finalement pu y revenir à la faveur d’un arbitrage favorable, contesté ensuite, qui lui octroie la coquette somme de 403 millions d’euros. Lui qui ne porte pas les journalistes dans son cœur devient l’actionnaire principal du groupe La Provence, et donc patron du quotidien régional marseillais. Un poste qu’il occupera jusqu’à la fin de sa vie.
Fort de son succès, il se lance en politique, auréolé d’une image de pourfendeur du Front national et de défenseur des jeunes de banlieue. François Mitterrand, alors président de la République, le fait nommer en 1992 ministre de la Ville dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy.
L’année suivante, en 1993, il remporte avec l’Olympique de Marseille, acheté en 1986, la Ligue des Champions, succès unique à ce jour dans les annales du football français. Une victoire entachée par l’affaire de corruption du match OM-VA qui éclate quelques jours avant.
Rattrapé par la justice, Bernard Tapie est condamné à six reprises pour « corruption », « fraude fiscale » ou encore « abus de biens sociaux » et est incarcéré cinq mois en 1997. Accusé d’avoir « truqué » l’arbitrage controversé qui lui a octroyé 403 millions d’euros en 2008 pour solder le litige l’opposant au Crédit lyonnais, il est à nouveau condamné au civil pour « fraude » en 2015 mais relaxé au pénal en juillet 2019.
Il s’agit de l’une des archives du jeune Bernard Tapie les plus célèbres. En 1985, il reprend Le Blues du businessman et son célèbre J’aurais voulu être un artiste. Peu de chansons collent autant à la peau de celui qui a choisi comme nom de scène Bernard Tapy au milieu des années 1960 pour une tentative de carrière dans la chanson avortée. Car s’il a fait fortune comme hommes d’affaires, s’il a embrassé un temps la carrière politique, toujours sa fibre artistique a vibré.
Incontestablement, Tapie aime la lumière. Sa carrière de chanteur prématurément avortée, il se lance dans la comédie après ses déboires judiciaires dans les années 1990, qui l’ont rendu inéligible et lui interdisent de faire des affaires. Il joue alors en 1996 les premiers rôles dans Hommes, femmes, mode d’emploi de Claude Lelouch. La chanson, il y revient brièvement à l’occasion d’un duo avec Doc Gyneco, intitulé C’est beau la vie en 1998.
Puis c’est sur les planches qu’il fait le comédien. Dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, puis dans Un beau salaud, ou encore dans Oscar, jadis popularisé par Louis de Funès. Bernard Tapie sévit aussi sur le petit écran, dans Commissaire Valence, entre 2003 et 2008 sur TF1. Un rôle de policier pour celui que beaucoup voyaient comme un bandit.
D’un premier mariage, il a eu deux enfants, Nathalie, qui est toujours restée très discrète, et Stéphane, qui a suivi son paternel au grès de ses pérégrinations. Un temps animateur et producteur pour TF1, il est aussi apparu dans des épisodes de Commissaire Valence, série dont son père tenait le rôle titre. Il est aujourd’hui directeur des activités numériques du groupe La Provence, détenu par Bernard Tapie.
D’un second mariage, Bernard Tapie a eu deux autres enfants. Laurent d’abord. Lui, c’est les traces de l’homme d’affaires qu’il a choisi de suivre. En mai 2010, il a ainsi lancé bernardtapie.com, un site censé regrouper des bonnes affaires. L’aventure a fait un flop, mais elle montre que Bernard Tapie ne s’arrête devant rien, même pas prêter son nom et son image – dans des publicités -, pour aider ses enfants.
La petite dernière, Sophie, qui a fait parler d’elle, en donnant de la voix. Candidate en 2012 dans la saison de The Voice, elle franchit plusieurs étapes avant d’être éliminée. Elle a sorti en 2015 un album, avec le soutien indéfectible de son père. A cette occasion, elle lui avait rendu un hommage dans Gala : « Je connais un monsieur qui est avec sa femme depuis 40 ans, c’est assez respectable à notre époque, qui a élevé quatre enfants, qui fait très bien la cuisine, et qui est toujours là quand ça ne va pas et quand tout va bien », avait glissé Sophie.
Le 1er janvier 2018, c’est aussi Sophie qui a posté l’une des dernières photos de son père. « Bonne année ! Nous allons continuer à nous battre en 2018 ».
Le président de la République Emmanuel Macron et son épouse Brigitte, entre autres nombreux responsables politiques et personnalités, ont rendu hommage à l’homme d’affaires défunt. Le couple présidentiel a salué «l’ambition, l’énergie et l’enthousiasme» de Bernard Tapie, qui ont selon lui inspiré des «générations de Français».
«C’est avec une profonde tristesse que j’apprends son décès. Il fait partie de l’histoire de Marseille, l’histoire de nos plus grandes émotions collectives, celles qui ont marqué notre ville, notre club (l’Olympique de Marseille) et ses supporters», a notamment déclaré sur Twitter le maire de Marseille Benoît Payan, soulignant notamment l’engagement d’un homme qui «all[ait] directement au combat face à l’extrême droite».
Le défenseur des jeunes de banlieue, Bernard Tapie, qui frappe les esprits en acceptant un débat télévisé en 1989 face à Jean-Marie Le Pen – celui-ci lui a d’ailleurs rendu hommage, ce 3 octobre 2021, évoquant «le caractère exceptionnel de sa personnalité».
Le Premier ministre Jean Castex a lui déclaré après l’annonce du décès, cité par BFMTV : «La première image qui me vient, c’est celle du combattant.» «Il a toujours été très engagé contre l’extrême droite, mais surtout pour des causes, son club, sa ville, l’entreprise aussi», a ajouté le chef du gouvernement.
Bernard Tapie avait livré ces dernières années l’un de ses ultimes rôles. « Chaque matin, je me réveille avec l’envie de péter la gueule à mon cancer ». Emacié, le cheveu clairsemé, le timbre autrefois tonitruant réduit à un mince filet de voix. Même lorsqu’il avait été victime d’une très violente agression chez lui il y a quelques mois, il n’avait pas baissé la tête. Mais cette bataille, Bernard Tapie a fini par la perdre, aujourd’hui.
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