GABRIEL MIHAI
Effet de surprise à l’occasion de l’ouverture des Etats généraux de l’alimentation, jeudi 20 juillet, à Bercy.
Malgré un discours d’ouverture du premier ministre salué unanimement comme prometteur et plutôt exhaustif, la journée d’ouverture des Etats généraux de l’alimentation, jeudi 20 juillet, tenue dans un climat consensuel, n’a pas fait complètement illusion. Il y eut bien sûr les absences remarquées et commentées dans les couloirs du ministère de l’économie, à Bercy, où se tenait la réunion : en premier lieu celle du chef de l’Etat, Emmanuel Macron, officiellement retenu par sa visite sur la base militaire d’Istres. Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, n’est pas venue non plus, tandis que son homologue de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, n’a fait qu’un passage-éclair le matin.
Stéphane Travert, ministre de l’agriculture, a, quant à lui, fait le discours de la méthode des Etats généraux dont les travaux se dérouleront jusqu’à la mi-novembre avec quatorze ateliers répartis en deux chantiers. Le premier sur la création et la répartition de la valeur durera un mois, entre fin août et fin septembre. « Ce n’est pas parce que le président de la République ne vient pas aujourd’hui que les Etats généraux ont une ambition moindre », a-t-il déclaré, ajoutant : « Il s’exprimera pendant la césure entre les deux chantiers, alors que nous aurons trouvé des compromis, et pourra donner des perspectives. »
Sans surprise, chacun a, ensuite, joué sa partition. De quoi démontrer toutes les divergences de vue. Si la plupart des intervenants se sont déclarés satisfaits de la tenue de ces Etats généraux, certains se montrent circonspects. « Je ne suis pas sûr que les Etats généraux de l’alimentation soient bien nommés, ce sont les Etats généraux de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Sur les 14 ateliers, seuls 4 sont consacrés à l’alimentation. J’espère qu’il n’y a pas un malentendu pour les consommateurs et qu’il ne s’agit pas d’une vaste opération pour justifier une forte augmentation des prix », a réagi Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir.
Agriculteurs, consommateurs, industries agro-alimentaire, ONG et partenaires sociaux se retrouvent autour de la table pendant cinq mois pour un débat national sur le bien-manger et le bien-produire. Ces assises devraient aboutir à des solutions pour sortir de la crise agricole, tout en prenant en compte les enjeux climatiques et sanitaires. « On espère qu’on peut en attendre autant, mais dans les faits, je trouve que ce n’est pas très bien parti », regrette sur Europe 1 la journaliste Isabelle Saporta, qui a notamment enquêté sur la malbouffe et l’agriculture.
C’est ce dossier lourd et complexe du « partage de la valeur » que les intervenants vont devoir régler d’ici septembre avant de s’attaquer aux aspects environnementaux et sanitaires de ces Etats généraux. Là encore, le programme se veut ambitieux: sécurité alimentaire, santé, lutte contre le gaspillage, transition écologique et solidaire de l’agriculture, lutte contre l’insécurité alimentaire et renforcement de l’attractivité des métiers de l’agriculture.
« J’espère que d’ici septembre, concernant la répartition de la valeur (entre producteurs et intermédiaires, ndlr), le ministre (de l’Agriculture) aura pu, provisoirement, apaiser les choses, pour qu’après on puisse avoir une conversation prolongée », plaide Nicolas Hulot, conscient qu’un blocage sur les prix fragilisera les discussions sur le reste.
Selon sa présidente, la FNSEA se dit prête à proposer un « double pacte économique et sociétal »: « quelques centimes de plus pour rentabiliser et moderniser les exploitations et ainsi mieux répondre aux attentes qualitatives avec plus de bien-être, plus d’environnement… » « Mais l’un ne va pas sans l’autre », clame-t-elle, « c’est du donnant-donnant », car « quand les comptes sont dans le rouge, c’est difficile d’être plus vert ».
Le président Emmanuel Macron, qui avait lancé l’idée des Etats généraux durant sa campagne, ne conclura finalement pas la journée, contrairement à ce qui était prévu.
L’Elysée a fait valoir des raisons « logistiques et d’organisation », le président étant retenu sur une base militaire à Istres, au lendemain de la démission fracassante du chef d’Etat-major des armées, le général Pierre de Villiers.
Il a promis d’intervenir plus tard dans les débats, ce qui a semblé rassurer la présidente du principal syndicat agricole FNSEA, Christiane Lambert. « Je préfère qu’il parle en septembre-octobre quand nous aurons commencé à travailler. Efficacité d’abord ! ».
D’autres ministres annoncés ont également fait défection: Agnès Buzyn (Santé) a été remplacée par le directeur général de la Santé Benoit Vallet et Bruno Le Maire (Economie) cédera la place à son secrétaire d’Etat, Benjamin Griveaux, en fin de journée.
Les deux présents, Stéphane Travert (Agriculture) et Nicolas Hulot (Transition environnementale) sont aussi les plus intéressés par le sujet, défendant des points de vue qui peuvent paraître antagonistes.
Les agriculteurs sont focalisés sur la question des prix de leurs produits, vitale pour eux, et les associations environnementales ou de consommateurs ont exprimé avant le démarrage la peur de voir leurs préoccupations mises de côté.
Au banc des accusés, la grande distribution et ses guerres des prix est sommée de dire si elle accepte des prix en hausse et moins de marges pour permettre aux producteurs de vivre, a estimé mercredi Michel Edouard Leclerc, le patron des supermarchés du même nom.
La séance d’ouverture de ces Etats généraux, qui vont se prolonger jusqu’à la fin de l’année, avait plutôt bien commencé. Edouard Philippe, dans son discours, a ouvert tous les chantiers, en en présentant les enjeux, sur fond d’un amour déclaré envers les paysans et la nécessaire puissance agricole française, « élément de notre souveraineté nationale ».
Evoquant la mondialisation, le numérique ou encore le renouvellement des générations, le premier ministre a aussi insisté sur l’enjeu climatique. « Les inondations exceptionnelles du printemps 2016 ont eu de graves conséquences sur les productions céréalières réputées pour leur régularité. Le gel de ce début d’année a suscité beaucoup d’inquiétude chez les viticulteurs d’Alsace, du Jura, du Bordelais ou de Bourgogne. La sécheresse que nous connaissons cet été complique l’alimentation des animaux d’élevage », a ainsi développé Edouard Philippe, évoquant la possibilité que ces phénomènes ne deviennent, un jour, la règle.
Une quarantaine d’ONG ont également souligné dans un communiqué que des « priorités essentielles manquent pour l’instant à l’appel », dont une troisième phase de négociations politiques pour acter et arbitrer les désaccords, mais aussi une meilleure mobilisation citoyenne.
Le grand public sera amené à donner son avis via une consultation publique qui ouvre jeudi sur internet (egalimentation.gouv.fr).
Une synthèse des ateliers et de la consultation devrait être publiée mi-décembre, a promis le ministère de l’Agriculture.
Les agriculteurs sont focalisés sur la question des prix d’achat de leurs produits, vitale pour eux, alors que la grande distribution et sa guerre des prix mises au banc des accusés, devra dire lors de ces États généraux si elle accepte des prix en hausse et moins de marges pour permettre aux producteurs de vivre. « Il faut dire : ‘attention ce modèle ne fonctionne plus, ce modèle ne paye plus ses agriculteurs, ce modèle ne rend personne heureux' », recommande encore Isabelle Saporta, alors que de plus en plus d’agriculteurs mettent fin à leurs jours.
Pilotés par le ministère de l’Agriculture, quelque 500 acteurs de la filière agricole vont se réunir en ateliers, qui ne commenceront réellement que fin août, pour se conclure fin novembre. Un compte rendu final est attendu mi-décembre. D’ici là, l’État invite les citoyens à se prononcer via une consultation publique en ligne. Sans savoir encore comment ces contributions figureront dans « l’agenda des solutions » promis par l’exécutif.
PHOTOS: BM / IMPACT EUROPEAN – WPA
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